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Corridors de valeurs ducarbone

Corridors de valeurs du carbone : la solution pour concilier climat et dévelo...

 

  

Corridors de valeurs du carbone : la solution pour concilier climat et développe - Maria Portugal-World View

 

 Source : I4CE.                                                                                                                                                    

 

Corridors de valeurs du carbone : la solution pour 

concilier climat et développement ?

 

 

Valoriser les réductions d’émissions de carbone est une nécessité, au Nord comme au Sud. Pour relever ce défi, la Commission d’experts présidée par Lord Nicholas Stern et Joseph Stiglitz préconise la mise en place de corridors de valeurs du carbone.

 

Le 29 mai 2017 dernier, à l’occasion du sommet du Think20 à Berlin, Lord Nicholas Stern et le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz ont présenté les résultats de la Commission mandatée par la Coalition pour la tarification du carbone. Ségolène Royal, en tant que coprésidente de la coalition, leur avait confié la mission de plancher sur un corridor de valeurs du carbone qui puisse s’accorder avec l’accord de Paris pour le climat. Les résultats sont sans appel : pour garantir un développement compatible avec une limitation des hausses des températures moyennes bien en deçà de 2 °C, un signal fort et crédible sur la valeur du carbone est vital.

Loin de l’imaginaire d’un marché unique, mondial, d’où émergerait par miracle un unique prix du carbone, valable aussi bien à Tombouctou qu’à Reykjavik, les membres de la Commission — dont faisait partie Gaël Giraud en tant qu’expert français — préconisent la mise en place d’un corridor de valeurs du carbone.Peu importe comment ces valeurs s’appliquent, ce peut être aussi bien par une taxe que par un marché des droits à polluer, ou bien même via des instruments de financement de projet. Pouvoir se reposer sur un corridor, plutôt que sur une valeur unique, permet à chaque pays de s’adapter (dans les limites du corridor) aux spécificités de son propre système énergétique, économique et culturel.

Mais comment concrétiser cette urgence dans le contexte des pays en développement ?

 

La nécessité de valoriser les réductions d’émissions de carbone

 

La valorisation des réductions d’émissions via une tarification bien conçue est une nécessité, aussi bien dans l’Ancien Monde qu’au Sud. S’il s’agit à terme de maîtriser notre impact sur le climat, l’enjeu de court et moyen terme est aussi et surtout de permettre toute une série de cobénéfices liés à la transition efficace vers une économie verte : santé, qualité de vie, innovation verte, emplois, réduction de la pauvreté et des inégalités, etc.

Les auteurs du rapport le soulignent : les valeurs minimales pour déclencher cette transition sont comprises dans un corridor de 40 à 80 dollars par tonne de CO2 ($/tCO2) en 2020, et de 50 à 100 $/tCO2 en 2050. Ces valeurs semblent élevées, surtout au regard des tarifications qu’on peut observer dans les pays qui ont déjà fait le choix de tarifer le carbone. Ainsi, le prix du carbone sur le marché de droits d’émissions européen oscille autour de 5 €/tCO2 depuis des années, à un niveau similaire au marché RGGI[1] (Regional Greenhouse Gas Initiative) aux États-Unis ou aux initiatives chinoises. Les taxes carbone mexicaines ou japonaises sont même à un niveau inférieur (cf. illustration ci-dessous). Par contraste, la taxe suisse sur le carbone valorise la tonne à 77 €/tCO2 et celle de la Suède, à 96 €/tCO2, mais pour des volumes d’émissions bien plus faibles.

 

Valoriser le carbone est-il incompatible avec le développement  ?

 

Les auteurs du rapport précisent que ces valeurs doivent pouvoir varier selon la situation des pays. 

Non seulement le niveau de tarification, mais également la nature des instruments doivent être adaptés. Ainsi, le corridor présenté dans le rapport n’a pas de valeur prescriptive, mais doit plutôt être utilisé comme une boussole. La « valeur tutélaire du carbone  », que le rapport Quinet a introduite en France, ou le « coût social du carbone  » américain jouent ce rôle dans les dépenses publiques, et de nombreuses entreprises commencent à utiliser des valeurs comptables pour intégrer le risque climatique dans leurs stratégies et rediriger leurs investissements en conséquence.

 

À lire aussi sur iD4D : « Adapter les taxes carbone à la situation des pays émergents », par Manasvini Vaidyula et Lara Dahan, chargées de recherche, et Marion Afriat, chef de projet, pôle industrie, énergie et climat d’I4CE.

 

Loin d’être un frein au développement, la valorisation des réductions d’émissions doit jouer un rôle différent selon le contexte et le niveau de développement.Dans les pays développés, il s’agit de transformer un système déjà très intensif en carbone en pénalisant les technologies et les comportements les plus émetteurs et en favorisant les effets vertueux tels que l’innovation verte dont ont cruellement besoin nos économies. Ceci ne peut, in fine, que créer davantage d’emplois : les énergies renouvelables sont moins productives que le pétrole. Et la productivité du travail, telle que nous la mesurons d’ordinaire, reflète essentiellement l’aptitude de la force de travail à tirer parti de notre usage de l’or noir. De sorte que le passage à des énergies renouvelables ne peut que réduire la productivité du travail et, toutes choses égales par ailleurs, induire une augmentation de la demande de travail.

L’enjeu n’est pas le même dans les pays en développement. Les infrastructures existantes y sont encore relativement peu intensives en carbone, mais les besoins sont immenses et les investissements en croissance rapides. Il s’agit par conséquent moins de pénaliser les équipements existants que de rediriger ces investissements de manière à éviter aux pays de s’enfermer dans une trajectoire de développement trop intensive en carbone, en les verrouillant dans des systèmes productifs à l’écart des révolutions vertes qu’on voit déjà poindre dans l’énergie. Dans des contextes où les mesures de protection de l’environnement sont perçues comme des contraintes, valoriser les réductions d’émissions en favorisant des projets verts renforcera la légitimité et l’acceptabilité de ces instruments.

 

À lire aussi sur iD4D : « Entre croissance du PIB et respect des engagements climat, il faut choisir ! », par Gaël Giraud, chef économiste de l’AFD.


Loin d’imposer une énième taxe, il faut revoir le système complet d’incitations et de redistribution

Même si un instrument contraignant comme une taxe ou un marché de droits d’émissions sera souvent le plus efficace, y compris dans certains grands pays émergents, la valorisation des réductions d’émissions ne doit pas nécessairement se faire de manière uniforme, ni être appliquée seule. Chaque pays doit créer les conditions favorables à la mise en place de ces mesures et à leur bon fonctionnement. Comme souligné par la Commission, des mesures complémentaires sont indispensables pour pallier les déficiences des différentes taxes ou marchés et garantir leur acceptabilité sociale. Un même niveau de tarification carbone conduira à des résultats et des cobénéfices très différents en fonction de la qualité des mesures qui l’accompagneront : développement des infrastructures de transports publics, fiscalité du foncier, aménagement du territoire, redistribution des revenus carbone, etc.

On peut donc rechercher de manière plus systématique les synergies entre lutte contre les effets du changement climatique et développement. La taxe carbone est ainsi un bon candidat pour asseoir une réforme fiscale : lorsqu’elle est appliquée en amont, sur les quelques centres d’importation et de production, elle permet de réduire les écarts de fiscalité entre secteurs formels et informels, en étant de surcroît fortement progressive dans la plupart des cas. Les synergies sont même plus profondes que ça. Sans action rapide et concertée pour réduire l’exposition des plus pauvres aux effets du changement climatique, les efforts pour éradiquer l’extrême pauvreté pourraient s’avérer vains, et on pourrait assister à une augmentation dramatique des flux nets vers la pauvreté.

Loin de s’opposer au développement, la logique de valorisation des réductions d’émissions de carbone doit servir de levier pour rediriger les flux de financement et générer les opportunités économiques dont ont besoin les pays.

 

Une piste prometteuse : la coopération financière Nord-Sud autour d’une valeur tutélaire du carbone

Les auteurs du rapport suggèrent une piste originale de valorisation du carbone, en l’intégrant aux instruments de redirection des flux de financements vers les projets bas carbone. Il est possible de considérablement réduire le risque de ces investissements en valorisant les réductions d’émissions qu’ils permettent à hauteur des valeurs indiquées dans le corridor carbone du rapport. En sécurisant des flux de trésorerie prévisibles, une telle valorisation conduira à des baisses de coûts importantes de ces financements.

Renforcer le lien entre tarification du carbone et instruments de financements verts ouvre la porte à des coopérations Nord-Sud innovantes. Une idée, évoquée déjà dans le rapport Canfin-Grandjean-Mestrallet, remis à Ségolène Royal en juillet 2016, serait ainsi de garantir les emprunts contractés par les pays du Sud à hauteur de la valeur des émissions évitées par les projets ainsi permis. Un mécanisme « d’obligations vertes » permettrait aux pays du Sud de financer leurs projets verts à un meilleur taux que s’ils émettaient leurs obligations sans garantie des pays du Nord.

 

À lire aussi sur iD4D : « Obligations vertes souveraines : acte symbolique ou engagement contraignant ? », par Igor Shishlov, chef de projet chez I4CE.

 

Le montant de la garantie ainsi fournie, loin d’être arbitraire, pourrait être basé sur les travaux de la commission Stern-Stiglitz. Ce mode innovant de coopération financière pourrait même débloquer un point de crispation des négociations sur la mise en œuvre de l’accord de Paris, en abondant le « fonds verts » et contribuer ainsi aux 100 milliards de dollars que les pays du Nord se sont engagés à transférer vers les pays du Sud d’ici 2020. Quant à l’impact d’une telle garantie sur la dette publique de l’État qui l’accorde, rappelons que la garantie publique sur ce type de projet peut être considérée comme du hors bilan et n’augmenterait donc pas nécessairement la dette.

D’une manière générale, l’usage de la garantie publique, combinée à des financements publics ou privés, pourrait constituer un excellent levier afin de financer les 90 000 milliards de dollars d’investissement dans les infrastructures vertes nécessités, selon le New Climate Economy report, par la transition vers une économie mondiale bas carbone au cours des quinze prochaines années.

Il convient, en revanche, de replacer cette proposition dans le contexte plus large du financement du développement. Ces flux doivent être additionnels et ne sauraient se substituer au financement de la lutte contre la pauvreté et les inégalités. En effet, il est clair aujourd’hui non seulement que ce sont les populations les plus pauvres qui sont dès aujourd’hui les plus exposées au dérèglement climatique, mais encore que, pour la plupart, elles appartiennent aux pays dont les institutions sont les plus vulnérables. Elles souffrent ainsi d’une sorte de triple punition. Substituer le financement de l’adaptation au dérèglement climatique à celui de la lutte contre la pauvreté reviendrait à réduire l’aide à laquelle cette inégale répartition des handicaps leur donne droit.

 

Quel rôle la France peut-elle jouer  ?

 

Avec la dynamique lancée lors de la COP21, et entérinée par l’appel d’Emmanuel Macron suite à la sortie des États-Unis de l’accord de Paris, la France est en bonne place pour proposer une architecture innovante de financement de la transition bas carbone dans le monde, dans le respect des populations et de l’environnement. L’AFD s’y emploie, en renforçant ses ambitions sur la lutte contre le changement climatique et en faisant évoluer sa stratégie pour l’accorder aux nouveaux défis mis en lumière par les ODD et l’accord de Paris.

L’agenda de recherche à l’interface entre régulation financière, développement et climat est encore prometteur. Les travaux initiés à la suite des engagements pris dans la loi de transition énergétique en sont une illustration, en mettant le projecteur sur le potentiel rôle destructeur du risque climatique sur les portefeuilles des institutions financières qui ne s’y seraient pas préparées.

 [1] Le Regional Greenhouse Gas Initiative est une initiative régionale des États du nord-est des États-Unis visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Les opinions exprimées dans ce blog sont celles des auteurs et ne reflètent pas forcément la position officielle de leur institution ni celle de l’AFD.

 

http://ideas4development.org/corridors-valeur-carbone-valorisation-reduction-emissions/