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Nul homme n'est une île...

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Nul homme n'est une île

de Dominique Marchais, documentaire français (1 h 36). Sortie le 4 avril
 
 « Nul homme n'est une île, un tout, complet en soi ; tout homme est un fragment du continent, une partie de l'ensemble. » L'incipitd'un poème de John Donne de 1624 donne les contours du projet documentaire de Dominique Marchais qui, depuis dix ans, s'intéresse aux rapports entre paysage et politique. Après avoir brossé un portrait de l'agriculture française sur la mauvaise pente de l'épuisement des ressources dans Le temps des grâces1, puis interrogé la notion d'aménagement du territoire à partir du traitement politique des cours d'eau dans La ligne de partage des eaux2, il a cette fois délibérément choisi ses interlocuteurs hors de nos frontières. Constitués principalement d'entretiens, ses films ne coupent jamais la parole du terrain, au sens géographique. Les opérateurs de renom Claire Mathon et Sébastien Buchmann contribuent à ce que l'image, splendide, échappe au tout-venant documentaire, même bien intentionné, tel que le courant écologiste a pu en produire ces dernières années. Parcourus par ceux qui les ont transformés, et qui déploient une belle clarté d'analyse, les lieux donnent envie au spectateur d'y vivre.

On se souvient du succès de Demain de Cyril Dion et Mélanie Laurent, à la fin de 2015 (César 2016 du meilleur documentaire), et de son slogan – « Partout dans le monde, des solutions existent » –, qui enquêtait sur des initiatives de transition écologique. Mais le couple de réalisateurs qui y dialoguaient en voix off surlignaient l'intention pédagogique ; relais du spectateur, une Mélanie Laurent volontairement candide faisait écran à de véritables rencontres. À peine un portrait était-il esquissé qu'il était transformé en possible « solution » pour « nous ». Ici, l'évidente admiration du cinéaste pour les agriculteurs de la coopérative sicilienne Galline Felici, qui parviennent à rendre leur travail viable malgré l'incurie des autorités et l'impôt mafieux qui les frappe, n'est pas érigée en modèle à suivre à la lettre. De même, la façon dont l'architecture a pu venir au secours des agriculteurs de Vrin, en Suisse, en participant à un remembrement raisonné, est filmée comme une aventure singulière, qui a composé un paysage à nul autre pareil. À une plus large échelle, le mouvement des Baukünstler(artisans de la construction) dans le Land autrichien du Vorarlberg, montre combien le partage de savoir-faire même avec des habitants non professionnels qu'il faut former, permet de construire une communauté en même temps que des bâtiments. Plus qu'un catalogue de bonnes pratiques, Nul homme n'est une île propose une réflexion sur les liens entre l'être humain, son environnement et son gouvernement. À la fois œuvre d'art inspirante et métaphore du film lui-même, la fresque du Bon et du mauvais gouvernement de Lorenzetti (1338-1339) est analysée par une historienne de l'art. Au XIVsiècle, cette allégorie en trois parties était novatrice : personne n'avait représenté jusqu'alors de manière aussi réaliste les habitants de Sienne, ni les relations entre la ville toscane et la campagne alentour. C'est à un retissage du territoire qu'appellent les initiatives filmées par Dominique Marchais qu'il serait faux d'appeler des utopies. Tout tient dans le dosage effectué au montage entre les difficultés rencontrées dans le travail collectif (les réunions parfois houleuses de la coopérative italienne) et un contentement intense, jusqu'à l'excès (le menuisier autrichien, autosatisfait, s'écoute parler). Ouvert et clos sur la fresque qu'il prend pour modèle, Nul homme n'est une île s'extrait du constat morose d'une démocratie impossible et engage chacun à mieux habiter le monde.

 

Études, n° 4122, février 2010, p. 255.
Études, n° 4205, mai 2014, p. 110.
 
 
 
 
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