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Populorum Progressio a 50 ans

« De Populorum Progressio à Laudato si : une parole audacieuse sur le monde...

« De Populorum Progressio à Laudato Si :

une parole audacieuse sur

le monde en développement »

 

22 novembre 2017

 

Conférence des évêques de France

Paris

 

 

Par MC

Table ronde organisée par le Ceras en partenariat avec la fondation Jean Rodhain, le CCFD-Terre Solidaire, la La DCC - Délégation Catholique pour la CoopérationJustice et PaixPax Christi International, le Réseau international pour une économie humaine, le Secours Catholique - Caritas France, le Service « Famille et Société » et le Service national de la mission universelle de l’Église de la Conférence des évêques de France.

 

Il y a 50 ans, le pape Paul VI adressait au monde son encyclique Populorum Progressio, prônant le développement intégral de « tout homme et tout l’homme ». Cet événement fut une date importante dans l’Église et au-delà, mettant en route de nombreux militants : la question sociale devenant mondiale. De ce texte sont nés le réseau « Justice et Paix » et plusieurs associations catholiques de développement.

 

La table ronde animée par Jean Merckaert, rédacteur en chef de la Revue Projet, revient sur les enjeux et l’actualité de l’encyclique, avec la participation de :

 
• Guy Aurenche : avocat, ancien président de la Fédération internationale de l'action des chrétiens pour l'abolition de la torture (Fiacat), des Amis de la Vie et du CCFD-Terre Solidaire.

 

Yves Berthelot : économiste et ancien fonctionnaire de l’ONU


• Sylvie Bukhari-de Pontual : doyenne honoraire de la Faculté de sciences sociales et économiques de l’Institut catholique de Paris, membre de « Justice et Paix », ancienne présidente de la Fédération internationale de l'action des chrétiens pour l'abolition de la torture (Fiacat), présidente du CCFD-Terre Solidaire.

 

Bruno-Marie Duffé : prêtre catholique, ancien aumônier du CCFD-Terre solidaire, secrétaire du dicastère pour le développement intégral.


• Xavier Ricard Lanata : ethnologue, philosophe et écrivain, auteur de « Blanche est la Terre », éd. Le Seuil (2017)

 

1/ JM : Quand avez-vous rencontré « Populorum Progressio » ?

 

SBdP : don Elmer Camara a encouragé la naissance de « Populorum Progressio » et a fait vivre cette encyclique, qui est un appel aux chrétiens à s’engager pour susciter des changements sociaux et politiques et vivre à la manière évangélique. Mon engagement à Justice et Paix France m’a permis de rencontrer « Populorum Progressio ».

 

J’en retiens le §14 selon lequel le développement ne se réduit pas à la simple croissance économique, mais c’est également promouvoir « tout homme et tout l’homme ». Ce point est à rapprocher de l’encyclique « Laudato si » (§49) : « une vraie approche écologique se transforme toujours en une approche sociale ».

 

YB : à la publication de « Populorum Progressio », j’étais en Côte d’Ivoire, au ministère du Plan. J’ai constaté que ce pays connaissait une croissance sans développement, alors que le Sénégal connaissait un développement sans croissance.

 

En poste à la CNUCED, j’ai pris conscience du devoir de coopérer au développement des peuples. En 2005, j’ai pris la présidence du centre Lebret. Je suis alors tombé dans l’encyclique « Populorum Progressio » qui porte une vision du développement concernant tout homme et tout l’homme. Ce n’est pas seulement avoir plus, mais être plus qui compte, à la différence de la logique néo-libérale. Il ressort de l’encyclique que les aides au développement doivent être coordonnés. C’est fait avec les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) en 2000 et avec les Objectifs du développement durable (ODD) en 2015.

 

BMD : en 1967, j’avais 16 ans. L’encyclique « Populorum Progressio » marque mon premier engagement avec la phrase : « la question sociale est mondiale ». Il y a une ouverture à l’international, la découverte des questions sociales à travers un autre lieu en Côte d’Ivoire à l’occasion d’un stage. Je suis d’une famille marquée par le christianisme social du mouvement Le Sillon et de Marc Sangnier, qui s’interroge sur comment vivre l’évangile dans les questions sociales, et par Gabriel Matagringe qui appelle à « l’engagement politique des chrétiens ».

 

XRL : anthropologue, j’ai découvert le sud andin et l’Eglise latino-américaine avec la figure de Gustavo Guttieres, qui lance la théologie de la libération (conférence d’Aparecida en 1972) pour une Eglise qui rend compte de la dignité de l’Indien. J’y ai vu une vision radicale de l’évangile qui me rappelle l’influence marxiste. Dans « Populorum progressio », il y a la vision d’une économie communiste au sens du bien commun : « le droit de propriété ne doit jamais l’emporter sur l’utilité commune ».

 

2/ JM : En quoi "Populorum Progressio » peut être une source d’inspiration pour aujourd’hui ? Le développement ne se réduit pas à la simple croissance économique. Faut-il continuer à se prévaloir de l’idée de développement ?

 

SBdP : dans Populorum Progressio, le concept de développement est principalement économique. Il y a une interrogation sur l’accroissement des capacités productives, des richesses, sur la fracture avec l’accroissement des inégalités.

 

« Populorum Progressio » est encore d’actualité : cette encyclique permet de repérer l’appel à déployer des aptitudes et à les faire fructifier (§15). Dans « Populorum Progressio », le développement est humain et solidaire. Dans « Laudato si » , le développement est intégral avec l’approche du concept d’écologie intégrale. Il faut se rapprocher de l’analyse du prix nobel Amartya Sen sur les capabilités. Le CCFD lance une réflexion sur le concept de développement : le développement est-il annonciateur d’une nouvelle anthropologie chrétienne ? Laisse t-il la place à la transition écologique et sociale ?

 

XRL : la notion de développement est tributaire du contexte des années 60 avec l’idée de rattrapage des pays développés par les pays en développement. 2 événements majeurs sont à prendre en compte : la mondialisation avec l’intégration des techniques et des mouvements de capitaux ; la crise écologique qui modifie la perception du bien-être au regard de ressources naturelles limitées.

 

Qu’est-ce que l’Homme ? La Nature est une création divine, une fin en soi et non uniquement un moyen de fournir des biens et des services.

 

BMD : le dialogue entre l’Eglise et la société est ancien. La notion d’intégralité apparaît d’abord dans un texte du VIIème siècle : c’est un effort pour comprendre la modernité. La moralisation du développement est en question. Peut-on déployer du sens dans le développement des possibilités économiques ?

 

Dans « Gaudium et Spes », la pensée sociale est la confrontation entre le développement économique, les capacités et l’humanité.

 

Est-ce que tout ce qui est nouveau est prometteur ? Qu’est-ce qui donne du sens à ce que nous pouvons découvrir ?

 

Selon « Populorum Progressio » (§19), « toute croissance est ambivalente » : la production de choses nouvelles, de nouvelles capacités ne signifient pas que la croissance a du sens.

« Laudato si » (§160) montre que le développement a du sens dans la relation aux autres. Pourquoi venons-nous à cette vie ? Pourquoi travaillons-nous ? Pourquoi luttons-nous ? pourquoi cette terre a t-elle besoin de nous ? Ce qui est en jeu c’est notre dignité. Pourquoi produire, échanger ? Pour qui ? Pour aller où ?

 

3/ JM : Quelles perspectives de développement après l’encyclique « Populorum Progressio»?

 

SBdP : La solidarité mondiale doit permettre à tous les peuples de devenir des artisans de leur destin. C’est l’heure du bilan.

 

YB : L’évolution des pays (revenus par tête, indice du développement humain…) montre des progressions différentes en fonction des stratégies adoptées plus que des dotations en facteurs et des aides reçues qui sont conditionnées. Ces évolutions ont été contraintes par l’environnement international, les décisions des pays développés.

 

Dans les années 70-80, les politiques d’ajustement structurel nuient à l’éducation et à la santé. Dans les années 80, la libéralisation des capitaux entraîne des crises en Russie et en Asie. La vision néo-libérale a accru les inégalités au niveau macro-économique.

 

Dans une vision micro-économique, des initiatives ont été prises pour rendre la vie plus humaine. Est-ce que la vision portée par « Laudato si » va faire changer l’économie mondiale ? « Tous les peuples demandent leur part active dans la constitution d’un monde meilleur » (§65).

 

BMD : Dans le texte des années 60, on est marqué par le primat de l’aide. Dans « Laudato si », il y a l’appel à la capacité des acteurs à penser un nouveau paradigme.

La contribution du Pape à l’ONU sur l’Agenda 2030 souligne des principes généraux, le pilier du développement humain intégral et le droit à la vie. L’ONU développe une conception du développement intégré (économique, social, environnemental) avec une ouverture.

 

En 1963, avec « Pacem in terris », on pense le développement comme l’ouverture de la personne humaine, dans une culture entendue comme personnalité collective. La personne humaine est centrale (§18), comme acteur de l’écologie. La personne humaine est l’acteur principal du développement, un avenir partagé par tous. On n’est pas dans la fermeture et l’alternative création/besoin, satisfaction, mais dans une ouverture sur l’altérité de la création.

 

4/ JM : Quid de la destination universelle des biens ? « Populorum progressio « introduit la notion de dette fiscale et sociale (§24) : la richesse doit bénéficier aux territoires.

 

SBdP : Il y a une concentration du pouvoir économique entre les mains des puissants. La régulation est abandonnée par certains Etats. Il y a des problèmes d’entente sur la gestion des biens communs et de relégitimation de l’action publique au niveau local, national et international. La politique ne doit pas se soumettre à l’économie, au diktat de l’efficacité.

 

Pour le CCFD, il y a deux combats prioritaires : combat de la justice fiscale avec le renforcement du rôle de l’Etat, la régulation des multinationales. Il faut créer un système de régulation sur les limites pour assurer la protection de la personne humaine et des écosystèmes.

 

YB : les combats prioritaires portent sur la redistribution des revenus, la correction et la surveillance des marchés, le contrôle des multinationales – la RSE n’est pas contraignante. Nous avons une responsabilité de porter un débat sur les valeurs et les pratiques par ex sur les droits de l’homme, il faut en parler au niveau des Etats et entre les personnes. La solidarité ne se réduit pas à l’argent, mais c’est d’abord un dialogue, et consiste à s’interesser à l’autre. Il faut aussi rechercher le bien commun et ne pas laisser cette recherche aux mains du privé. Il faut gérer l’héritage de la nature et enfin faire des progrès sur la gouvernance mondiale, se convertir, passer du désir de plus avoir à un désir de plus être. C’est l’enjeu de l’économie humaine qui répond aux besoins économiques, humaines et spirituels.

 

5/ JM : Quelle est la dimension spirituelle de « Populorum Progressio » ? En quoi le développement est-il spirituel ? L’écologie intégrale décrite dans « laudato si » marque t-elle une inflexion ?

 

XRL : plus être dans « Populorum Progressio », c’est être riche en relations, en altérité. Dans « Laudato si », l’humain reste au centre. L’humain est à la mesure de toute chose dans une vision hellénistique (Protagoras). L’éducation spirituelle et la conversion écologique sont développées dans « Laudato si » (§22). L’homme n’est plus au centre, il est décentré. L’anthropologie est décentrée. Il y a conversion écologique par le participation au monde, communautaire (Eglise) avec une fraternité universelle.

 

BMD : Le Pape François a créé en 2016 le dicastère pour la promotion du développement intégral. Tout est connecté. Le développement est pensé avec la hantise du dialogue. Marchons ensemble dans la croisée des savoirs, passons d’une approche sectorielle dans les disciplines à une interrogation mutuelle porteuse de sens. Il faut être touché, prendre soin de la création, des autres, de nous-mêmes. Il y a une pensée du bien commun, il n’ ya pas l’écologie et la solidarité d’une autre côté. C’est la même chose.

 

Il faut également renouveler la mission de l’Eglise universelle sur le développement, les migrations, la santé, la solidarité, la sauvegarde de la création. Il faut penser tout cela de manière connectée, promouvoir, protéger les droits à l’écologie, à l’économie, à la terre, au travail (tierra, trabajo, techo). La dynamique de la mission est d’être un lieu d’écoute, de rencontre pour dire ce qui fait notre chemin, le construire ensemble, être dans un partenariat. On doit se demander comment passer de la peur de perdre son talent (Saint Mathieu) à la possibilité de contribuer à une œuvre commune.

 

Questions de la salle :

 

Quid de l’influence de l’écologie de la Terre mère portée par l’Equateur et la Bolivie ?

 

XRL : dans la cosmologie amérindienne, la Pachamama est localisée. Elle est attachée à un territoire. Le concept est resignigié dans les années 80 au contact des mouvements écologistes pour s’apparenter à la notion de Gaïa, Terre Mère. Evo Morales en Bolivie a politisé la notion. François en fait un élément central de sa lecture de l’évangile.

 

BMD : il faut adopter une approche en termes de polyèdre culturel : chaque culture locale, populaire est interesante pour envisagr le rapport à la terre que nous habitons ensemble.

 

Conclusion :

 

Guy Aurenche retient de cette table-ronde :

-       une célébration de l’appel à la vie dans « Populorum Progressio » et « Laudato si », d’un texte révolutionnaire, d’une sainte révolution.

-       L’appel aux chrétiens pour susciter des changements dans la manière de provoquer des changements.

-       Un horizon : il faut interroger le concept de développement en profondeur, la notion de rattrapage. La crise écologique bouleverse notre conception du bien-être. Quels mots pour dire demain notre espérance ?

-       L’intelligence : il y a un devoir d’intelligence. Dans « Populorum progressio » et « Laudato si », il y a une intelligence des constats sur ce que vit notre maison commune. Delà découlent des combats prioritaires pour remettre les personnes au centre, créer un système normatif pour protéger tout homme et tout l’homme, les écosystèmes. Il faudra tirer les conclusions du constat demain, sinon cela n’aura pas d’intérêt.

-       La louange : nous sommes invités à la louange. Il faut exprimer la grandeur de Dieu dans la louange selon Teilhard de Chardin et vivre le combat dans la joie de l’espérance selon « Laudato si » (§244).